mercredi 21 août 2019

Tortionnaire et victime

Dans cette société, les gens s’identifient toujours au tortionnaire, jamais à la victime ; ou quand c’est à la victime, c’est pour pleurer sur son sort, sans jamais toucher efficacement au tortionnaire... car une telle efficacité est une (LA !) révolution... qui ne sera qu’éphémère pour retomber dans le même travers. La victime se transforme même en tortionnaire car elle incommode ce dernier dans ses œuvres qui consistent à fabriquer une victime. Ainsi, si le tortionnaire est si bien protégé, c’est parce qu’il fait une victime et que le point central affectif de tout ceci, c’est d’en faire une de plus, aux yeux de tous qui le déplorent, mais l'acceptent.

C’est si connu que cela est inscrit dans les annales humaines : on va accuser la victime de l’être, on va la soupçonner d’avoir désiré l’être, la conspuer de l’être devenue et lui poser la question du pourquoi elle n’est pas encore disparue, ou pourquoi elle n’a pas encore pardonné à son tortionnaire. Pour n’importe quelle raison, il faut qu’une personne souffre pour devenir cette victime qui souffre, selon cet étrange amour pour cette caractéristique. D’ailleurs, on ne parle habituellement pas de « tortionnaire » (d’une personne qui torture sans autre but que de torturer, fut-ce pour raison sociale) mais de « bourreau » (une personne qui tue en réponse à une sanction sociale, fut-elle auto-proclamée), une sorte d’implacable résumé d’un inéducable nécessaire.

Il ne s’agit pas d’une personnalité stable, car chacun, à tour de rôle, est ou tortionnaire ou victime. Parfois un couple de personnes sera suffisant : l’être *humain* frustré d’amour adopte, après y avoir été noyé dès le plus jeune âge, cette manière de relation sociale, affective et sexuelle en fonction d’un contexte dans lequel il guettera, attentif aux moindres variations de l’imminence d’un pouvoir sur autrui (et seulement dans ce seul but de garder la tête hors de l’eau), l’instant possible de devenir enfin tortionnaire. Qu’importe que cet environnement se dégrade, l’important est de devenir tortionnaire, et si la déprédation de l’environnement géographique s’y ajoute, le contentement sera d’autant plus jouissif  : autrui sera dans la merde jusqu’au nez, au lieu du niveau du cou.

Cependant, la victime cherchera et trouvera un moyen de « se venger », insidieusement, du tortionnaire (ou de celui qu’elle considère comme tel), en devenant à sa manière fadasse, un tortionnaire sur un autre... « plus faible... affectivement ». Elle réussira à vous pourrir la vie, par un petit détail insignifiant qui pourrira votre ouvrage. La victime devenue tortionnaire ne veut pas que vous soyez heureux, que vous ressentiez de la joie sans contrepartie, que le contentement fasse soulever de plaisir les commissures de vos lèvres et étrécir les rides du coin de vos yeux qui voudraient librement briller comme des étoiles. Elle et il haïssent cela.

Le pouvoir d’un tortionnaire ne se mesure pas au nombre de ses victimes, mais à sa puissance, la puissance de sa malfaisance, de sa malveillance, de la maturité de son désir de nuire à autrui. Le pouvoir est essentiellement délégué à des sous-tortionnaires qui se chargent des basses-œuvres que leur indique le puissant à leur regard ternis du désir d’agir en vertu de ce pouvoir nuire à eux délégué. Ce pouvoir est en somme *coopté par hiérarchie*, hiérarchiquement dégoulinant du haut vers le bas et c’est la puissance de ses agissements qui remonte en sanie au suprême. Chacun s’appuie sur le grade supérieur ou inférieur pour légitimer ses actes de tortionnaire : l’inférieur attend l’approbation du supérieur, et le supérieur voit cette approbation chez l’inférieur qui agit par et pour lui. Comme l'inférieur, le supérieur ne peut qu’être méchant, non pas pour des rasions opposées, mais par cooptation des pouvoirs dont ils se réjouissent de la puissance de la sommité. Car l’inférieur retourne contre « plus inférieur que d’autres », la brimade de son sort et le supérieur qui est « plus égal que d’autres » vomira la bile dont il doit inonder ses inférieurs. Ils sont conscients l’un l’autre, de former une famille dont l’intérêt est de perdurer, comme ils souffrent, la souffrance d’autrui.

Le jeu du tortionnaire, et celui qui consiste pour la victime à trouver vengeance, sont si intimement liés qu’en distinguer un « légitime » d’un « illégitime » est une torture dont on se ferait facilement la victime : il est impossible, généralement, de pouvoir prendre un parti, car la succession des affres étant une suite de réponses aussi douloureuses que celles de la question qu’on a subie, que de dissoudre l’acte qu’on a sous les yeux est inutile : il se reconstituera immédiatement, dans la seconde qui suit cette prise de position. En fait, il ne s’agit pas d’un jeu destiné à une fin, mais d’une fin qui n’est qu’un jeu, sans cesse remise sur l’établi pour y recevoir le coup de pique qui la régénèrera.

Mais je suis méchant, moi-même, dans ce discours. Dans la majorité des cas, la malveillance est causée par l’ignorance des conséquences globales issues de nos actes. On ignore le résultat, les effets, de nos agissements, à ceci que si elle ne peut rester sans conséquences, cette ignorance-même est une malveillance, après coup. La malversation due à l’ignorance ou à la malveillance ont les mêmes résultats : ici rien n’en est su, là, on le sait. Puis-je en vouloir à l’ignorance ? Oui, bien sûr, car l’humain est tel que l’ignorance est le fruit de notre paresse affective... de même que c’est cette paresse affective qui vous permet d’être malveillant. Mais, il y a là une *intention* qu’il n’y a pas ici. J’éprouverai cependant un grand plaisir à constater que je ne suis ni victime ni tortionnaire en vérifiant que mes agissements sont sans danger pour autrui, par acquis de conscience ou par expérience, aussi bien. La satisfaction de l’assurance de ne pas faire de victime est un gage de n’être pas non plus tortionnaire !

Ne vouloir être ni l’un (tortionnaire) ni l’autre (victime) vous pose dans une bulle particulière : vous êtes aux yeux de tous, fou, car personne ne peut le comprendre, et nul ne peut vous comprendre. « Quoi ? Vous n’avez pas de désir de vengeance ? pas de rancœur dissimulée qui demande à vomir ? Quoi ? Vous êtes exempt du désir du vouloir inférioriser autrui ? de ne manifester aucun pouvoir sur lui ou sur elle ? ». Et pour autant, on vous met en devoir de prendre parti pour le tortionnaire (l’oppresseur) ou la victime (l’oppressé) alors que ces deux *trucs* forment un couple dont les victimes-même iront s’identifier à ce tortionnaire, jalousant son pouvoir de malveillance ; ou à un tortionnaire, l’empathie anesthésiée autant qu’est asthéniée sa sensation de la répétition, heureux de faire souffrir sans souffrir immédiatement lui-même. Mais, soit directement, soit indirectement, ils vous impliquent dans leurs magouilles, car si vous n’êtes pas tortionnaire, vous ne vous sentez pas non plus être fait pour souffrir, et ces deux *trucs* ne se privent pas de vous confronter l’une ou l’autre face à cette carence, de vous le faire ressentir pour pourrir votre vie pourtant à usage unique.

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