mardi 3 septembre 2019

Masturbation et troubles psychiques

Les troubles psychiques comme substituts à la masturbation

Je remercie Wilhelm Reich pour l’initiative qu’il a prise d'établir la relation entre des tics musculaires (qui correspondent à une attitude caractérielle) et l’interdit de la masturbation : bien qu’il l’ai prononcée sous cet avers, je la remets à l’endroit. Son étude se passait dans le cadre de la psychanalyse qui était déjà à l’époque un scandale sexuel (vers 1921) et je suis sûr que mes tardives conclusions auraient apparu à un autre que moi, plus tôt, en suivant un cheminement similaire et moins prude.

Le tic comme substitut à la masturbation : il s’agit d’un papier de Wilhelm Reich, paru en langue française dans une compilation : Premiers écrits 1 ou 2 chez Payot, en 2006. Si j’ai bonne mémoire, il s’agissait d’une grand-mère qui avait des tics aux visage et l’auteur a résolu le problème en restituant à la personne la possibilité libre de se masturber.

La masturbation est un interdit très puissant, qui est effectif dès le plus jeune âge. Ou parfois, elle est permise jusqu’à la puberté, mais dès que le plaisir émanant des organes aphrodisiaques devient véritablement transique (qui met en transe), envahissant, orgastique, « on » y assoit un holà terrifiant.

L’interdit consiste donc, mes chères amies, à ne pas vous masturber, c’est-à-dire à vous éviter d'approcher la transe sexuelle et son paroxysme, l’orgasme, par vos propres moyens, vos propres sensations dont vous aimez le crescendo, l’acmé et la détente consécutive. Ces plaisirs « solitaires » ne sont finalement destinés qu’à reconnaître votre pouvoir à partager une jouissance avec autrui.

Ainsi, c’est précisément cet interdit de la masturbation qui est l’origine de quasiment toutes les malaises psychiques, c’est-à-dire, le contraire de la relation saine à autrui… ce qu’on appelle pudiquement, les maladies mentales qui ne sont que des maladies affectives (la sexualité est une expression affective de la vie, sans doute la plus intense dans son aspect éphémère), en ceci qu’elles résultent des défenses contre les plaisirs issus de la masturbation.

Ok, qu’en est-il de la schizophrénie, de l’autisme, qui sont des maladies plus profondément (dit-on) physiques ? Oui, vous avez raison… c’est pour cette raison que je ne vais m’intéresser qu’aux psychoses, qu’aux névroses, et borderlines, paranoïas, etc., des « maladies » où l’affectivité du sujet a dû adopter des positions qui séparent d’autrui (bien évidemment, contre son gré, puisque nous sommes des animaux sociaux, grégaires) et qui provoquera le conflit-même de la maladie, sa structure affective gravement altérée.

L’interdit de la masturbation revient à saborder en soi le plaisir par soi. La punition est double : c’est SOI qui s’interdit DU plaisir issu de SOI et de l’attente du plaisir orgastique. Il y aura donc, un apprentissage et son acquis au refus de la transe, un apprentissage induit par l'éducateur d’être parcouru par quelque chose qui émane pourtant de vous et qui vous envahit : vous devez, à vos dépens, apprendre cela : rejeter le plaisir ! Cet apprentissage ne peut rester sans conséquences qui se manifesteront, suivant la caractère de la personne, selon des particularités et des modalités, des « maladies mentales », des adaptations opportunes dans la cadre d'un environnement malade.

Ainsi, les « maladies mentales » ne sont-elles que des manifestations de cette mutilation de la sensation pré-orgastique résultant de rapports sociaux et affectifs débilitants. Et on ira très souvent, comme avertissement terrifiant, jusqu'à mutiler les organes aphrodisiaques mâle et femelle.

Bon… les malades affectifs, ceux qui se sont vu – hélas – contraints de ne pas pouvoir se masturber (c’est-à-dire, je me répète : obtenir par soi du plaisir pour soi) sous peine de graves, non anodines, vexantes, dégradantes, douloureuses souffrances à eux infligées, vont immédiatement ne voir qu’un monde de masturbation, en tout lieu, en tous temps, se réalisant dans une grande diversité de manières. N’est-ce pas ce qui se passe aujourd’hui, en matière et en manière de substituts à la masturbation ?

Il y a quelques années, j’avais entamé de faire une relation entre le mode du refus du plaisir et une disposition mentale défensive acquise, une structure caractérielle. Je ne disais pas à l’époque que l’origine du désordre est la rupture de la personne avec sa possibilité de se donner du plaisir grave – car il ne s’agit pas de superficiel, on l’aura compris.

Très généralement, cette disposition n’a pas rendu les gens méchants… il demeure toujours, pour les plus malicieux, les plus obstinés et les plus discrets, une ouverture vers cette satisfaction, quelque part. C’est pour cette raison qu’ils restent la plupart du temps avenants, sincèrement et fortement conscients des altérations qui les empêchent d'être meilleurs partageux. Quand on sait se masturber, on n’a pas envie, lors d’une rencontre, de se retrouver soi, mais bien de rencontrer autrui, et l’attention qu’on s’est apporté ici, se reporte alors là pour un mélange plus profond, fusionnel – puisqu’on ne craint pas la profondeur dont on se sait, soi, apte d’atteindre.

Ici, je ne décris (à la louche) que des traits de caractères qui nuisent finalement, lors de ce moment singulier où il regimbe au plaisir, à l'expression de cette gentillesse et qui résulte de cette structure caractérielle :
- le paranoïde a peur d'être dépassé par le plaisir, car le plaisir c'est trop fort pour lui ;
- le masochiste a peur d'être submergé par le plaisir parce que le plaisir noie et il risque de suffoquer ou de le faire éclater ;
- le schizoïde (hors de sa structure plus élémentaire due à un manque immédiat après la naissance d’un contact profondément bienveillant et aimant avec les yeux de sa mère ou plus tard lors de l’allaitement) la peur que le plaisir lui échappe parce que le plaisir lui ferait perdre l'équilibre qu'il a construit pour le parer, et que le plaisir est unificateur ;
- l'oral anticipe la peur de n'avoir pas assez de plaisir parce que le plaisir lui échappe sans fin, chez lui, le plaisir est insaisissable ;
- le phalico-narcissique a peur de ne pas dominer le plaisir, car chez lui, le plaisir est dégradant, car l’accès au plaisir demande de l'humilité ;
- le rigide a peur que le plaisir lui fasse mal parce que, quand il respire, le plaisir passe difficilement les côtes et soulève des souffrances, et c'est trop dur à supporter ;
- le psychotique a peur de ne pas pouvoir anticiper le plaisir, car l’acmé du plaisir surprend et c'est insoutenable.

Et, pour rejoindre une vieille analyse que j’avais entreprise sur la relation entre les structures caractérielles et la Société du Spectacle :
- le producteur : anal : plaisir retenu, parcimonieux ;
- le réalisateur : phalico-narcissique : plaisir exhibitionniste ou dirigiste ;
- l'acteur : le masochiste : plaisir apeuré ou craintif ;
- le spectateur : oral : plaisir glouton ou insatiable.

De plus s’ajoute la manière dont les gens n'accomplissent pas entièrement une action, une tâche, la manière de l'imperfection (ou les beugues nucléaires, informatiques, d’attention, politiques, médicaux, etc.), si je puis dire, car il ne faut pas qu'ils accomplissent complètement ce qu'ils font ou ont à faire : cela créerait une angoisse et cette angoisse est en relation avec la structure caractérielle, à l’approche de l’orgasme, de la transe orgastique.
- l'un ne va pas commencer, il procrastine ;
- l'autre s'arrête en plein milieu de son ouvrage ;
- un troisième va s'arrêter juste avant sa fin ;
- le dernier ne va pas peaufiner pour rendre meilleur.
À ceci près que la vie marchande, la vie de la marchandise, par son salariat et assimilés, oblige chacun à produire quelque chose (l’obligation au travail que cette indigence de la critique fait accepter comme évidente) et j’aurai encore pu montrer que des groupes de métiers correspondent précisément à ces dispositions de sauvegarde face au plaisir, du fait d’avoir été obligé d’en réchapper par l’interdit de la masturbation, par l’interdit de se toucher en vue de se faire et de se procurer du plaisir. Car la mesure de l’approche de ce plaisir donne celle des capacités qu’on a de faire aboutir les choses et pareillement de l’utilité de leur intérêts en tant que disposition anti-grégaires (un slogan de mai 68 écrit sur les murs de la Sorbonne, disait : L’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier capitaliste sera pendu avec les tripes du dernier bureaucrate, ou l’inverse !).

Sans octroyer plus de sûreté, chacun de ces rôles est pourtant adopté, non seulement en vue de se ressentir soi comme structure rassurante, mais aussi pour se rassurer de sa propre présence par rapport à son milieu. Cette incertitude qui excite les nerfs, nous conduirait, incidemment, à une brève étude des modes de malveillance et de son intensité. La personne maltraitée voudra toujours compenser cette maltraitance qu’est l’interdit de la masturbation (la nostalgie du bonheur) par une vengeance, imaginaire ou plus ou moins réelle, mais jamais aboutie, toujours dans la répétition, une vengeance réitérative, de la malveillance. Le pire est que le maltraité ou la maltraitée maltraitera, et ainsi de suite, de génération en génération : seules les conditions d’existence peuvent changer « l’utilité » de cette vengeance et donc en amoindrir les effets, l’intensité qui atténuera son efficacité, c’est-à-dire l’intensité de l’interdit. La multitude des diverses modalités et des moyens me dispense d’aborder en détail cette malveillance. Je vais en rester là ici.

Quand Wilhelm Reich affirmait que les tics musculaires d’une grand-mère sont des substituts à la masturbation, je poursuis en affirmant que, dans notre socialité patriarcale, l’interdit universel de la masturbation est la source d’une immense majorité des malaises sociaux, des maladies mentales… qui permettent, assurent, pérennisent (hélas) la reproduction de cette société patriarcale (le capitalisme assis sur la plus-value cache derrière son petit doigt le patriarcat en mouvement). La masturbation est d’abord un abord de son propre corps sous le seul aspect du plaisir qu’il est apte à (se) donner et une approche sans crainte (ni souffrance) de son intensité et du débordement de ce plaisir. Elle est un préliminaire dans le temps historique de la personne à la rencontre d’autrui (ce à quoi chaque spécificité sexuelle est destinée : la rencontre, le partage et l’identification comme union, et la communion). Elle est corrélativement un discriminant du vrai et du faux : quand on sait, on ne se la laisse pas jouer : si la vie prête à rire de plaisir, c’est du sérieux !