vendredi 10 juillet 2020

On ne nait pas raciste, on le parvient

Quelques mots sur le terreau du raciste, du sexiste et de l'esclavagisme

Il n'est pas aisé de donner du racisme une définition qui fasse l'unanimité. D’une manière toute terre-à-terre, on pourrait dessiner le racisme comme un procédé intellectuel qui consiste en une discrimination basée sur des critères humains morphologiques. Ce procédé vise à discréditer autrui, ou à le critiquer en vue de le diminuer, en vue de justifier des malversations à son égard, de lui porter des coups, de l’insulter, etc. et ceci à partir de ce dont on ne peux rien. « Ce dont on ne peux rien » correspond au fait qu'une personne possède telle ou telle couleur de peau ou d'yeux, tel ou tel nez, telle ou telle langue maternelle, tel ou tel sexe, telles ou telles lèvres, sur le fait que cette personne est née à tel ou tel endroit, etc. De tout cela, personne n'est en rien responsable puisqu'elle est e ainsi.

Le racisme, c’est, entre autre, critiquer une existence sur le fait qu'une personne existe selon sa forme en vue de réduire sa capacité humaine selon des critères réduisant ce qu'elle est, et à lui imposer à être autre personne que ce qu'elle est, à vouloir qu'elle se reconnaisse négativement dans sa conformation. C'est ce qu'on voit du racisme, de l'extérieur.

C’est en cela que le racisme rejoint le sexisme qui considère la femme selon des critères immédiatement liés à son sexe et aux spécificités de son sexe, celles-ci étant considérées comme des tares ou des désavantages, surtout ce qui concerne le sang œstral, etc.

On confond le racisme et le sexisme avec le fait de critiquer un mode de pensée, une idée, une politique, une doctrine, etc., qui ne sont que des opinions, c'est-à-dire, des choix intellectuels qu'une personne a adoptés et qui forment cette opinion dont elle est immédiatement et directement responsable. Chacun de nous est responsable de ses opinions, de ce qu'il pense. Et à cause de cela, les opinions sont légitimement sujettes à la critique et il est favorable à leur évolution qu'elles soient critiquées.

Un ensemble d'opinions similaires s'apparente à une doctrine. Toute doctrine est sujette à la critique, mais non pas la couleur d'une peau ni un sexe, etc. Ainsi, lorsqu'on confond racisme et critique d’opinions, on cherche à fermer la bouche à ceux qui dénoncent la nocivité humaine d'une attitude raciste, des préjugés racistes, etc. Quand le racisme consiste à me critiquer sur le fait que j'existe, la critique des opinons s'établit sur des idées.

C'est en ceci que le racisme n'est pas seulement un mode intellectuel de penser, mais aussi une manière affective de se comporter vis-à-vis d'autrui, qui s'appuie sur ce mode de penser.

À ceci s'ajoute un racisme plus spécifique où n’entre pas en ligne de compte la seule forme de mon existence, mais une idée que se fait le raciste de la sienne propre. Il se sent supérieur, sur des détails ou des généralités, à moi, de sorte qu’il puisse prendre sur moi un pouvoir et la violence est indispensable à l'établissement de cette hiérarchie dont le raciste ou le sexiste s'octroie le sommet. On comprend alors qu’il y ait un racisme blanc anti-blanc ou un racisme noir anti-noir, par souci de hiérarchiser les êtres selon leur conformation de naissance, à partir de quoi le raciste se prévaut cette « supériorité ».

C’est dire que le racisme est un ensemble d'idées dénigrant des personnes en les répertoriant selon une hiérarchisation, dont il s'attribue le sommet. Cette hiérarchisation est assise sur l'apparence ou la sensation qu'il se fait d'autrui. Le racisme est une doctrine auto-réflexive, une tautologie : c'est selon ses propres critères qu'il établit ses propres critères. Car rien ne peut, surtout à la loupe grossissante de l'intelligence de l'honnête, distinguer physiologiquement, deux personnes : nous sommes tous constitués de manière identique : des mêmes formes, du même nombre d'organes, d'os et de muscles, etc. Seule la forme diffère par des détails liés à l'adaptation de l'organisme à son milieu d'existence. Quand au sexe, c'est bienheureusement une faculté de rencontre.

Cette La doctrine raciste fera l’apologie d'un détail qui le distinguera des autres : le raciste éprouve le besoin indispensable de dénigrer autrui pour se donner une consistance. Et pour donner consistance à cette inconsistance, il choisira, selon ses dégoûts, telle ou telle forme de la vie : c’est à travers ses dégoûts qu’il donne le goût de sa propre existence.

De sorte que, dans son esprit, un sexe, une couleur, une forme, etc. resurgira chez autrui comme une dégradation. Cette dégradation s’établira sur une idée que le raciste se fait de ce qui est « pur » ou « parfait » et donc...de ce qui est « impur » ou « imparfait ». Il justifie de la sorte les coups qu’il assène ou assènera à cet « impur », s'érigeant ici juge et bourreau.

Cette sélectivité dans l'identification ne lui permet pas d'asseoir de manière solide sa pensée d’autrui, aussi l'empathie du raciste s'avère-t-elle faible et il éprouve le besoin impératif de retrouver dans une bande, le reflet de sa faiblesse pour que cette réunion la transforme celle-ci en force. Que l’humain soit physiquement un être assez faible et qu’il se réunisse en société est normal et évident : c’est un être grégaire. Mais qu’il se sépare d’autrui en s’agglomérant pour chercher à nuire à autrui, c’est pathogène. On voit donc des réunions d’hommes contre les femmes, des réunions de femmes contre les hommes, des noirs contre des blancs, des blancs contre des noirs, et j’en passe.

On ne peut séparer ce dénigrement d’autrui sans y évoquer une raison de l’esclavage : il est nécessaire d’être raciste pour être esclavagiste. C’est cette notion de « pur » et d’«impur » qui permet à l’esclavagiste d’affirmer que l’impur doit être puni de son sort (du fait d’être né selon les discriminations sélectionnées par le raciste) et réduit à la pire des activités humaines : au travail forcené. Le raciste ou l’esclavagiste (et la toute première et véritable esclave du monde a été la femme, que certains ont appelée Ève) crée lui-même les caractéristiques du pur et de l’impur pour réduire autrui à cet esclavage, caractéristiques qui lui permettent de justifier le sort qu’il impose à autrui, « son » esclave.

Toutes ces observations rendent malaisée une définition du racisme en soi, car sa caractérisation englobe une multitude de « petits » comportements qui jalonnent la vie quotidienne de nos sociétés et qu’il n’est pas évident de supprimer. A-t-on songé à une éducation de l’enfance respectant réellement l’enfance et son aptitude à la collaboration, sans que réside dans ses modalités une trace d’esclavagisme, de sexisme ou de racisme ? Constate-t-on une égalité sociale réelle entre les deux sexes ? ... ? À quoi est réduite la riche activité humaine lorsque huit personnes sur la planète détiennent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population mondiale ? On voit que le concept de « racisme » est complexe et qu’il englobe, dans une description souvent partielle et partiale, une régulation plus ou moins prégnante de la vie sociale présente.

Cette perception du « pur » implique inévitablement celle du mélange. Et le racisme est précisément l'abrupte, brutale et acerbe théorie du non-mélange. Que ce soit en banlieue parisienne ou au Soudan, le traitement adopté à ce problème du mélange (qui va jusqu’à « purifier » la femme de son sexe) est toujours le même : autrui est impur et il est interdit de s’y mélanger sinon que de manière conditionnelle (infériorisation, dénigrement de l'égalité, injures et coups).

Le racisme est sans aucun doute la théorie de l’abjection la plus poussée d’autrui : pour cela, il lui faut discriminer et distinguer des particularités qui se révèlent dérisoires. On connaît les malversations hitléristes. Si ces aberrations affectivo-intellectuelles n’avaient pas été un exutoire à la misère que vivait la population de l’époque, ce piteux personnage n’aurait jamais poussé aussi loin l’abjection, en considérant comme « impurs » les Tziganes, les homosexuels, les communistes, les Juifs, en réduisant la femme à un organe reproducteur d’une « race pure » accouplé à des « sur-hommes ».

On comprend facilement que cette idéologie de la « pureté de la race » (dont tous les racismes se prévalent, qu’ils se cachent ou non derrière une religion) ramène à une perception de cette « pureté » selon leurs propres critères – une auto-perception de l’impureté – et depuis Freud, on sait que cette notion est le sentiment (hélas) profond d’avoir péché en recherchant une auto-satisfaction sexuelle, dont la crainte a entraîné une culpabilité. Le raciste voit alors chez autrui cette libre capacité même de satisfaction qu'il jalouse et qu’il veut interdire : la liberté de vivre. Critiquer le Noir parce qu’il est noir, le Blanc parce qu’il est blanc, la femme parce qu’elle est femme, c’est leur ôter toute liberté de vivre selon leur goût. Le racisme abhorre la collaboration, le sexiste la participation, l’esclavagiste le partage. Le raciste a besoin d'un pharmakos pour se libérer de ses péchés, de cette tension maladive issue de sa culpabilité.

Pensée de misère, le racisme, le sexisme ou l’esclavagisme est une misère affective et sociale, une affectivité de misère issue d'une éducation qui mène à la misère sociale. Car loin d’avoir appris à exprimer la tendresse correspondant à l’attraction qu’il a éprouvée un jour pour autrui, il s’est vu obligé, comme système de protection, d’opter pour l’agressivité et la mesquinerie et trouve alors dans ce couple infernal la « raison » de la maltraitance qu'il afflige à autrui. Cette misère se perçoit dans le racisme dans ses critères esthétiques négativants avec lesquels il vous réduit à moins que lui ; dans le sexisme, où cette peur de la perte de soi dans la tendresse mène finalement à une forme d’impuissance amoureuse tout en visant à vous réduire à cet état d'impuissance ; et enfin l'esclavagisme vise, par l'invention et l'usage de préceptes économiques, à vous réduire à un état de misère, et à vous le faire accepter. Dans aucun de ces trois cas, n'existe l’équité qui est abolie par la violence, l’abrutissement que provoque cette violence et le rejet de toute révolte à son encontre. Par essence, la société patriarcale est raciste et elle organise des sessions exutoires (dont elle détient les rigides et policées modalités de transe – foot, télé, olympisme, etc.) où peut se déployer ce rétrécissement du sens critique de soi et principalement, dans le spectacle moderne où « tout ce qui était directement vécu, c'est éloigné dans une représentation ».

Au surplus, le raciste, le sexiste ou l’esclavagiste, attribue à autrui ses propres malheurs. C’est à cause d’autrui qu’il est malheureux dans la vie, pas à cause de lui-même, de son attitude de dédain, de reniement, de rejet d’autrui ou de la vie qui bouge en général. Du fait qu’il vit en groupe, il voit dans l’œil de son camarade le même désarroi, et ce regard réciproque change tout en haine envers ce qui n’est pas eux. Pour être admis dans ces clans, il faut être semblable à eux qui sont si malheureux, affectivement, sexuellement, et même socialement. Répondre aux relations qu’ils entretiennent ensemble n'est pas plus satisfaisant que la médiocrité de cette relation assise sur la haine d’autrui. Vivre dans la haine de l'autre est impossible à qui n’a pas intégré cette forme de misère.

De fait, il est coutumier que le raciste, le sexiste ou l’esclavagiste, vitupère contre mes aspirations, que je voudrais protectrices pour les personnes qui subissent leur vilenie. Malgré leur nuisance, ils utilisent la liberté pour affirmer qu’ils ont le droit d’être ce qu’ils sont. Des pays ont même intégré dans leur Constitution la ségrégation religieuse : il y a les « purs », nous, et les « impurs, eux. Et cela leur donne un « droit » d’agir avec violence sur les « impurs », quitte à grignoter années après années leur espace vital. Ils justifient leur agissement sur le prétexte d'un écrit qu'ils considèrent comme « sacré » pour eux, en lui donnant une importance au-dessus de tout et de la vie d'autrui.

Ainsi, le raciste, le sexiste ou l’esclavagiste, ne manque pas de ratiocination : des critères spécieux, le reniement des spécificités sexuelles, des droits électifs, sinon que ceux que, eux, ont instaurés et qu'ils imposent à coups de coups, en instillant la peur, la violence, l’abrutissement du sens critique. Tout cela, selon leurs propres critères, leurs propres discriminations, leurs propres arguties, leur propre méchanceté qu'il impose à tous.

Dès lors, quand on se pose la question de sa suppression, il semblerait qu’on se retrouve face à son mur : comment le miner ? Par l’éducation. La raison n’a pas prise sur le raciste : non pas qu’il ne l’entende pas, mais il ne la comprend pas. Ces gens sont incapables, au degré de son auto-protection particulièrement rigide, de comprendre ou de se rendre compte qu'ils sont racistes, sexistes ou esclavagistes : comme la vague sur le rocher lisse, le raisonnement glisse. Il faut donc s’occuper de ceux qui ne sont pas encore devenus racistes, sexistes ou esclavagistes, pour les protéger de leurs méfaits, de sorte que la loi du nombre finalement prévale. Pour cela, il faut, dès le plus jeune âge, le mélange des enfants.

Si elle contenait un espoir, ma modeste participation aura été, je le souhaite, de dresser quelques-unes de leurs modalités, de persuader ceux qui le deviennent de ne pas aller plus loin, et ceux qui sont loin de le devenir, de poursuivre leur si charmant chemin !

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