Les
troubles psychiques comme substituts à la masturbation
Je
remercie Wilhelm Reich pour l’initiative qu’il a prise d'établir
la relation entre des tics musculaires (qui correspondent à une
attitude caractérielle) et l’interdit de la masturbation :
bien qu’il l’ai prononcée sous cet avers, je la remets à
l’endroit. Son étude se passait dans le cadre de la psychanalyse
qui était déjà à l’époque un scandale sexuel (vers 1921) et je
suis sûr que mes tardives conclusions auraient apparu à un autre
que moi, plus tôt, en suivant un cheminement similaire et moins
prude.
Le
tic comme substitut à la masturbation : il s’agit d’un
papier de Wilhelm Reich, paru en langue française dans une
compilation : Premiers écrits 1 ou 2 chez Payot,
en 2006. Si j’ai bonne mémoire, il s’agissait d’une grand-mère
qui avait des tics aux visage et l’auteur a résolu le problème en
restituant à la personne la possibilité libre de se masturber.
La
masturbation est un interdit très puissant, qui est effectif dès le
plus jeune âge. Ou parfois, elle est permise jusqu’à la puberté,
mais dès que le plaisir émanant des organes
aphrodisiaques devient véritablement transique
(qui met en transe),
envahissant, orgastique, « on » y assoit un holà
terrifiant.
L’interdit
consiste donc, mes chères amies, à ne pas vous masturber,
c’est-à-dire à vous éviter d'approcher la transe sexuelle et son
paroxysme, l’orgasme, par vos propres moyens, vos propres
sensations dont vous aimez le crescendo, l’acmé et la détente
consécutive. Ces plaisirs « solitaires » ne sont
finalement destinés qu’à reconnaître votre pouvoir à partager
une jouissance avec autrui.
Ainsi,
c’est précisément cet interdit de la masturbation qui est
l’origine de quasiment toutes les malaises psychiques,
c’est-à-dire, le contraire de la relation saine à autrui… ce
qu’on appelle pudiquement, les maladies mentales qui ne sont que
des maladies affectives (la sexualité est une expression affective
de la vie, sans doute la plus intense dans son aspect éphémère),
en ceci qu’elles résultent des défenses contre les plaisirs
issus de la masturbation.
Ok,
qu’en est-il de la schizophrénie, de l’autisme, qui sont des
maladies plus profondément (dit-on) physiques ? Oui, vous avez
raison… c’est pour cette raison que je ne vais m’intéresser
qu’aux psychoses, qu’aux névroses, et borderlines, paranoïas,
etc., des « maladies » où l’affectivité du sujet a dû
adopter des positions qui séparent d’autrui (bien évidemment,
contre son gré, puisque nous sommes des animaux sociaux, grégaires)
et qui provoquera le conflit-même de la maladie, sa structure
affective gravement altérée.
L’interdit
de la masturbation revient à saborder en
soi
le plaisir par
soi.
La punition est double : c’est SOI qui s’interdit DU plaisir
issu de SOI et de l’attente du plaisir orgastique. Il y aura donc,
un
apprentissage
– et
son acquis – au
refus de la transe,
un apprentissage induit par l'éducateur d’être parcouru par
quelque chose qui émane pourtant de vous et qui vous envahit :
vous devez, à vos dépens, apprendre cela : rejeter le
plaisir ! Cet apprentissage ne peut rester sans conséquences
qui se manifesteront, suivant la caractère de la personne, selon des
particularités et des modalités, des « maladies mentales »,
des adaptations
opportunes dans la cadre d'un environnement malade.
Ainsi,
les « maladies mentales » ne sont-elles que des
manifestations de cette mutilation de la sensation pré-orgastique
résultant de rapports sociaux et affectifs débilitants. Et on ira
très souvent, comme avertissement terrifiant, jusqu'à mutiler les
organes aphrodisiaques mâle et femelle.
Bon…
les malades affectifs, ceux qui se sont vu – hélas – contraints
de ne pas pouvoir se masturber (c’est-à-dire, je me répète :
obtenir par soi du plaisir pour soi) sous peine de graves, non
anodines, vexantes, dégradantes, douloureuses souffrances à eux
infligées, vont immédiatement ne voir qu’un monde de
masturbation, en tout lieu, en tous temps, se réalisant dans une
grande diversité de manières. N’est-ce pas ce qui se passe
aujourd’hui, en matière et en manière de substituts
à la masturbation ?
Il
y a quelques années, j’avais entamé de faire une relation entre
le mode du refus du plaisir et une disposition mentale
défensive acquise, une structure caractérielle. Je ne disais pas à
l’époque que l’origine du désordre est la rupture de la
personne avec sa possibilité de se donner du plaisir grave – car
il ne s’agit pas de superficiel, on l’aura compris.
Très
généralement, cette disposition n’a pas rendu les gens méchants…
il demeure toujours, pour les plus malicieux, les plus obstinés et
les plus discrets, une ouverture vers cette satisfaction, quelque
part. C’est pour cette raison qu’ils restent la plupart du temps
avenants, sincèrement et fortement conscients des altérations qui
les empêchent d'être meilleurs partageux. Quand on sait se
masturber, on n’a pas envie, lors d’une rencontre, de se
retrouver soi, mais bien de rencontrer autrui, et
l’attention qu’on s’est apporté ici, se reporte alors là pour
un mélange plus profond, fusionnel – puisqu’on ne craint pas la
profondeur dont on se sait, soi, apte d’atteindre.
Ici,
je ne décris (à la louche) que des traits de caractères qui
nuisent finalement, lors de ce moment singulier où il regimbe au
plaisir, à l'expression de cette gentillesse et qui résulte de
cette structure caractérielle :
-
le paranoïde a peur d'être dépassé par le plaisir, car le
plaisir c'est trop fort pour lui ;
-
le masochiste a peur d'être submergé par le plaisir parce
que le plaisir noie et il risque de suffoquer ou de le faire éclater
;
-
le schizoïde (hors de sa structure plus élémentaire due à un
manque immédiat après la naissance d’un contact profondément
bienveillant et aimant avec les yeux de sa mère ou plus tard lors de
l’allaitement) la peur que le plaisir lui échappe parce que le
plaisir lui ferait perdre l'équilibre qu'il a construit pour
le parer, et que le plaisir est unificateur ;
-
l'oral anticipe la peur de n'avoir pas assez de plaisir parce que le
plaisir lui échappe sans fin, chez lui, le plaisir est
insaisissable ;
-
le phalico-narcissique a peur de ne pas dominer le plaisir,
car chez lui, le plaisir est dégradant, car l’accès au plaisir
demande de l'humilité ;
-
le rigide a peur que le plaisir lui fasse mal parce que, quand il
respire, le plaisir passe difficilement les côtes et soulève des
souffrances, et c'est trop dur à supporter ;
-
le psychotique a peur de ne pas pouvoir anticiper le plaisir,
car l’acmé du plaisir surprend et c'est insoutenable.
Et,
pour rejoindre une vieille analyse que j’avais entreprise sur la
relation entre les structures caractérielles et la Société du
Spectacle :
-
le producteur : anal : plaisir retenu, parcimonieux ;
-
le réalisateur : phalico-narcissique : plaisir exhibitionniste ou
dirigiste ;
-
l'acteur : le masochiste : plaisir apeuré ou craintif ;
-
le spectateur : oral : plaisir glouton ou insatiable.
De
plus s’ajoute la manière dont les gens n'accomplissent pas
entièrement une action, une tâche, la manière de
l'imperfection (ou les beugues nucléaires, informatiques,
d’attention, politiques, médicaux, etc.), si je puis dire, car il
ne faut pas qu'ils accomplissent complètement ce qu'ils font ou ont
à faire : cela créerait une angoisse et cette angoisse est en
relation avec la structure caractérielle, à l’approche de
l’orgasme, de la transe orgastique.
-
l'un ne va pas commencer, il procrastine ;
-
l'autre s'arrête en plein milieu de son ouvrage ;
-
un troisième va s'arrêter juste avant sa fin ;
-
le dernier ne va pas peaufiner pour rendre meilleur.
À
ceci près que la vie marchande, la vie de la marchandise, par son
salariat et assimilés, oblige chacun à produire quelque chose
(l’obligation au travail que cette indigence de la critique
fait accepter comme évidente) et j’aurai encore pu montrer que des
groupes de métiers correspondent précisément à ces dispositions
de sauvegarde face au plaisir, du fait d’avoir été obligé d’en
réchapper par l’interdit de la masturbation, par l’interdit de
se toucher en vue de se faire et de se procurer du plaisir. Car la
mesure de l’approche de ce plaisir donne celle des capacités
qu’on a de faire aboutir les choses et pareillement de l’utilité
de leur intérêts en tant que disposition anti-grégaires (un slogan
de mai 68 écrit sur les murs de la Sorbonne, disait :
L’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier
capitaliste sera pendu avec les tripes du dernier bureaucrate, ou
l’inverse !).
Sans
octroyer plus de sûreté, chacun de ces rôles est pourtant adopté,
non seulement en vue de se ressentir soi comme structure rassurante,
mais aussi pour se rassurer de sa propre présence par rapport à son
milieu. Cette incertitude qui excite les nerfs, nous conduirait,
incidemment, à une brève étude des modes de malveillance et de son
intensité. La personne maltraitée voudra toujours compenser cette
maltraitance qu’est l’interdit de la masturbation (la nostalgie
du bonheur) par une vengeance, imaginaire ou plus ou moins réelle,
mais jamais aboutie, toujours dans la répétition, une vengeance
réitérative, de la malveillance. Le pire est que le maltraité ou
la maltraitée maltraitera, et ainsi de suite, de génération en
génération : seules les conditions d’existence peuvent
changer « l’utilité » de cette vengeance et donc en
amoindrir les effets, l’intensité qui atténuera son efficacité,
c’est-à-dire l’intensité de l’interdit. La multitude des
diverses modalités et des moyens me dispense d’aborder en détail
cette malveillance. Je vais en rester là ici.
Quand
Wilhelm Reich affirmait que les tics musculaires d’une grand-mère
sont des substituts à la masturbation, je poursuis en affirmant que,
dans notre socialité patriarcale, l’interdit universel de la
masturbation est la source d’une immense majorité des malaises
sociaux, des maladies mentales… qui permettent, assurent,
pérennisent (hélas) la reproduction de cette société patriarcale (le capitalisme – assis sur la plus-value – cache derrière son petit doigt le patriarcat en mouvement).
La masturbation est d’abord un abord de son propre corps sous le
seul aspect du plaisir qu’il est apte à (se) donner et une
approche sans crainte (ni souffrance) de son intensité et du
débordement de ce plaisir. Elle est un préliminaire dans le temps
historique de la personne à la rencontre d’autrui (ce à quoi
chaque spécificité sexuelle est destinée : la rencontre, le
partage et l’identification comme union, et la communion). Elle est
corrélativement un discriminant du vrai et du faux : quand on
sait, on ne se la laisse pas jouer : si la vie prête à rire de
plaisir, c’est du sérieux !
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